Le boson de Higgs sait qu'il est un boson de jauge non commutatif et un possible portail vers un nouveau programme de grande unification (Chapitre final)

Qu'est-ce que le boson de Higgs sait que nous ne sav(i)ons pas? 

La grande unification retrouvée (?)
Le mécanisme BEH de brisure de la symétrie électrofaible, né vers 1964, a rendu possible l'unification de deux interactions fondamentales dans un cadre cohérent avant d'être définitivement validé expérimentalement par la découverte du boson de Higgs en 2012. Le programme de grande unification visant à intégrer l'interaction forte avec l'interaction électrofaible, basé sur l'idée de supersymétrie a quant-à lui été lancé vers 1974. Comme on l'a vu hier il se heurte pour jusqu'à présent à plusieurs difficultés en particulier : l'absence de mise en évidence de particules supersymétriques et le manque d'information précise sur la nature du mécanisme de brisure de la supersymétrie. Nous allons parler aujourd'hui d'un autre programme de recherche, mis en chantier vers le début des années 1990, celui de la géométrie non commutative. Il s'agit d'abord d'un programme mathématique mais très inspiré par la théorie quantique en général et le modèle standard en particulier, cherchant par exemple à tirer la substantifique moelle du mécanisme BEH. Il a été complété plus tard d'un principe d'action spectrale et il offre aujourd'hui des modèles pour la physique des particules et la cosmologie. Il permet non seulement de faire des prévisions en accord avec la phénoménologie actuelle des (astro)particules mais aussi de comprendre la structure du modèle standard et d'en déduire des informations sur la physique à plus haute énergie. Pour le dire simplement et faire le lien avec le précédent billet c'est un type d'extension du Modèle Standard a priori indépendant de la supersymétrie mais encore très peu popularisé chez les physiciens. Pourtant il arrive que de temps à autre on le mentionne ici ou on le discute là sur la blogosphère. Voici par exemple un commentaire sur un blog fameux:
MarkusMaute says:
December 1, 2010 at 7:17 am
“I find it more likely that some major new ideas about the relationship between internal and space-time symmetry are still needed.”
Don’t we have them already in noncommutative geometry ? (According to Alain Connes, NCG allows for breaking the chains of the Coleman-Mandula theorem)...
Commentaire à propos du billet: A Geometric Theory of Everything, sur le blog Not Even Wrong, 17/11/2010

Il semble que la question posée dans ce commentaire n'ait pas trouvée d'écho dans le blog mentionné. Nous allons donc tenter dans ce blog ci d'ébaucher une réponse à l'aune des progrès accomplis récemment tant sur le plan expérimental que phénoménologique et conceptuel.

Le champ des possibles qui s'offre aujourd'hui aux constructeurs des théories physiques futures pour unifier les interactions fondamentales est désormais beaucoup plus contraint grâce à la découverte du (et aux mesures faites sur le) boson de Higgs. Néanmoins il est toujours riche de potentialités que la géométrie noncommutative et le principe d'action spectrale semblent particulièrement aptes à faire émerger. C'est du moins ce que nous allons tenter d'illustrer maintenant avec l'extrait suivant tiré du plus récent article phénoménologique sur le sujet à notre connaissance :

Noncommutative geometry allows to handle a large variety of geometrical frameworks from a totally algebraic point of view. In particular it is very useful in the derivation of models in high energy physics, such as the Yang-Mills gauge theories. In the current state the noncommutative geometry structure of gauge theories is understood to be an “almost commutative” geometry, i.e. the product of continuous geo-metry, representing space-time, times an internal algebra of finite dimensional matrix. In this geometric framework the spectral action principle enables the retrieval of the full standard model of high energy physics, including the Higgs field: the standard model is put on the same footing as geometrical general relativity making it a possible unification with gravity. In fact the application of noncommutative geometry to gauge theories of strong and electroweak forces is a very original way to fully geometrize the interaction of elementary particles. Furthermore it has been shown that it is possible to extend the standard model by including an additional singlet scalar field that stabilizes the running coupling constants of the Higgs field. This singlet scalar field is closely related to the right-handed Majorana neutrinos, conferring them mass, and leading to the prediction of the seesaw mechanism which explains the large difference between the masses of neutrinos and those of the other fermions. A recent model shows the possibility of a further extension, going one step higher in the construction of the noncommutative manifold, in a sort of noncommutative geometry grand unification: here it is pointed out that there could be a “next level” in noncommutative geometry, intertwined with the Riemannian and spin structure of spacetime, where the singlet-scalar field rises. Accordingly it naturally appears at high scale, near to the Planck scale.
Agostino Devastato, Spectral Action and Gravitational effects at the Planck scale 20/09/2013

On peut voir que le programme de construction de modèles basés sur la géométrie spectrale non commutative sort plutôt renforcé de sa confrontation avec les derniers faits expérimentaux, lesquels faits ont forcé les concepteurs de modèles non commutatif à revenir soit sur une simplification abusive (un champ scalaire négligé) ou bien à renoncer à une hypothèse (caractère d'ordre un d'un opérateur différentiel de Dirac généralisé). Une fois débarrassées de ces erreurs passées, les modèles non commutatifs semblent ouvrir de nouvelles perspectives pour certaines théories de grande unification - un peu délaissées par l’engouement pour la supersymétrie - grâce à une qualité essentielle, celle de livrer, pour ainsi dire clé en main, à la fois des extensions aux symétrie de jauge du modèle standard (donc compatibles avec lui) et des mécanisme de brisure spontanée des symétries étendues: 
The assumption that space-time is a noncommutatirave space formed as a product of a continuous four dimensional manifold times a finite space predicts, almost uniquely, the Standard Model with all its fermions, gauge fields, Higgs field and their representations. A strong restriction on the noncommutative space results from the first order condition which came from the requirement that the Dirac operator is a differential operator of order one. Without this restriction, invariance under inner automorphisms requires the inner fluctuations of the Dirac operator to contain a quadratic piece expressed in terms of the linear part. We apply the classification of product noncommutative spaces without the first order condition and show that this leads immediately to a Pati-Salam SU(2)R⊕SU(2)L⊕SU(4) type model which unifies leptons and quarks in four colors. Besides the gauge elds, there are 16 fermions in the (2; 2; 4) representation, fundamental Higgs fields in the (2; 2; 1), (2; 1; 4) and (1; 1; 1 + 15) representations. Depending on the precise form of the initial Dirac operator there are additional Higgs fields which are either composite depending on the fundamental Higgs fields listed above, or are fundamental themselves. These additional Higgs fields break spontaneously the Pati-Salam symmetries at high energies to those of the Standard Model.
Ali H. Chamseddine, Alain ConnesWalter D. van SuijlekomBeyond the Spectral Standard Model: Emergence of Pati-Salam Unification 2013


Pour conclure ce billet nous allons tenter de proposer une réponse à la question posée en titre, laquelle question reprend il est temps de le dire : une formule due à Martinus Veltmann. Nous reprendrons pour l'essentiel les mots de Gerhard Gressing dans un récent ouvrage consacré aux liens entre théorie quantique des champs et géométrie non commutative (avertissement : le texte entre crochets dans l'extrait suivant correspond à des ajouts qui n'engagent que l'auteur de ce blog. Ils ont été introduit pour expliciter davantage les idées développées par le professeur Grensing):
As opposed to the original motivation, suggested by the phenomenological Ginzburg-Landau theory of second order phase transitions, where φ is an effective scalar field ..., it recieves [in noncommutative geometry] a completely different status as a connexion.. Thus, the Higgs field is here given a deep geometric interpretation ..., having its origin ... in [the fine structure of spacetime at the electroweak scale, namely a] virtual space consisting of two points, which by means of the [Yukawa couplings forming the matrix elements of an] associated Dirac operator can be equipped with a kind of discrete metric structure; ... now the Higgs field has become a dynamical agent since through the spectral action also its kinetic term is generated... noncommutative geometry yields the crucial insight that - before spontaneous symmetry breaking - all elementary fields of integer spin s = 0, 1, 2 are gauge fields !
Gerhard Grensing, Structural Aspects of Quantum Field Theory and Noncommutative Geometry, 2012
Il semble donc que le boson de Higgs est bien une particule élémentaire (et non composite) possiblement accompagnée - à l'échelle de l'attomètre - non d'un dédoublement du nombre de particules connues (pas de particules supersymétriques) mais d'un dédoublement virtuel de l'espace-temps euclidien qui modélise l'existence d'une structure fine non commutative de l'espacetemps à l'échelle de Fermi. Le scalaire de Higgs agirait alors comme un boson de jauge dans ce nouvel espace virtuel et son interaction avec toutes les particules engendrerait leurs masses. 

Ainsi se termine cette longue série de billets; démarrée avec les derniers mots de François Englert lors de sa conférence Nobel, nous allons la clore avec lui en reprenant des propos plus anciens sur la grande unification:
The discovery that confinement could be found in the strong coupling limit of quantum chromodynamics based on the “color” gauge group SU(3) led to tentative Grand Unification schemes where electroweak and strong interaction could be unified in a simple gauge group G containing SU(2)×U(1)×SU(3). Breaking occurs through vacuum expectation values of scalar fields and unification is apparent at high energies because, while the renormalization group makes the small gauge coupling of U(1) increase logarithmically with the energy scale, the converse is true for the asymptotically free non abelian gauge groups. Originally the BEH mechanism was conceived to unify the theoretical description of longrange and short-range forces. The success of the electroweak theory made the mechanism a candidate for further unification. Grand unification schemes, where the scale of unification is pushed close to the scale of quantum gravity effects, strengthen the believe in a still larger unification that would include gravity. This trend towards unification received a further impulse from the developments of string theory and from its connection with eleven-dimensional supergravity.
The latter is then often viewed as a classical limit of a hypothetical M-theory into which all perturbative string theories would merge to yield a comprehensive theory of “all” interactions. Such vision may be premature. Quite apart from obvious philosophical questions raised by a “theory of everything” formulated in the present framework of theoretical physics, the transition from perturbative string theory to its M-theory generalization hitherto stumbles on the treatment of non perturbative gravity. This might well be a hint that new conceptual elements have to be found to cope with the relation between gravity and quantum theory and which might not be directly related to the unification program. 
François Englert, Broken symmetry and Yang-Mills theory 2004

C'est l'espoir du blogueur - distillé à travers cette série de billets - que la géométrie non commutative et le principe d'action spectrale fassent partie de ces éléments conceptuels à trouver selon Englert pour mieux appréhender la relation subtile entre la gravitation et la théorie quantique, indépendamment du programme de grande unification retrouvé...

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